DIRECTIVE SUR L’INSOLVABILITÉ DES ENTREPRISES

Présenté en 2015, le règlement européen 2015/848 sur les procédures d’insolvabilité des entreprises devrait entrer en vigueur le 26 juin 2017. Ce règlement vise la résolution de conflits de juridictions et de lois dans les procédures d’insolvabilité transfrontières et garantit la reconnaissance des décisions judiciaires d’insolvabilité dans l’ensemble de l’Union européenne (UE).



Il fallait donc s’attendre à ce que de nouveaux textes dans le domaine du droit des entreprises en difficulté voient le jour et c’est le 22 novembre 2016 que la Commission européenne a présenté, pour la première fois, une proposition de directive en matière d’insolvabilité des entreprises, qui fut finalement adopté par le Conseil de l’Union les 28 mars et 6 juin 2019.

Par définition, l’insolvabilité est une situation dans laquelle une personne physique ou morale n’est plus en mesure de faire face à ses dettes. Plus précisément, cette situation est caractérisée à partir du moment où lesdites dettes deviennent liquides et exigibles : dès lors, le passif du débiteur excède son actif.

Longtemps, on a d’ailleurs parler de «droit de la faillite». Mais le terme a été abandonné en 1967, faisait trop référence à une vision péjorative de la situation du débiteur, pour parler du droit des entreprises en difficulté. Cependant, la Commission européenne parle encore de «droit de la faillite» dans son projet de directive du 22 novembre 2016.

Il faut garder à l’esprit que le terme faillite, tout du moins, illustre assez justement la situation des entreprises insolvables, en ce qu’elles causent un préjudice à la collectivité de ses créanciers. Certains parlent d’ailleurs «d’outrage à la parole donnée et aux engagements souscrits».

Bien que le règlement ait vocation à faciliter la résolution des conflits de lois et juridictions des procédures d’insolvabilité transfrontalières, ce dernier n’interfère pas dans le système des procédures internes spécifiques à chaque État membre. La Banque Mondiale, sur l’efficacité des cadres d’insolvabilité, a attribué à l’UE, une moyenne de 11,6 sur 16. Cette moyenne est inférieure à la moyenne de l’OCDE pour les pays à revenu élevé (12,2). Par conséquent l’UE a décidé d’agir au sujet des disparités des procédures d’insolvabilité de ses États membres.

La dissemblance en matière des taux de recouvrement, des procédures juridiques et des durées de ces dernières entre les différents États membres est également une des raisons qui ont motivé ce projet. En effet, dans certains pays, à défaut de procédures permettant de surmonter les difficultés financières dès leur apparition, certaines entreprises viables sont automatiquement contraintes à l’insolvabilité.

L’objectif de cette proposition est de soutenir la croissance et protéger les emplois en Europe. Effectivement, comme le souligne la commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l’égalité des genres, Mme VERA JOUROVA, « chaque année, dans l’UE, 200 000 entreprises font faillite, entraînant la suppression de 1,7 million d’emplois. Bien souvent, la faillite pourrait être évitée si nous disposions de procédures d’insolvabilité et de restructuration plus efficientes. Il est grand temps de donner aux entrepreneurs une seconde chance de démarrer une activité, par l’apurement complet de leurs dettes dans un délai maximal de trois ans ».

Voici les principales dispositions visant à l’harmonisation des principes des procédures de restructuration et des cadres de la seconde chance qu’offre le projet de directive aux entreprises et à ses différents acteurs.

  • Concernant les entreprises :

Cette directive s’appliquera aux entrepreneurs constitués en société ou non, ainsi qu’aux grandes, moyennes et petites entreprises ou encore aux microentreprises exerçant des activités professionnelles, commerciales ou autres (par conséquent, les institutions financières ne sont pas concernées étant donné qu’elles sont soumises à des règles sectorielles spécifiques).

Cette directive permettra aux entreprises en difficultés de solliciter un soutien de façon précoce afin de poursuivre leur activité, de continuer à fonctionner pendant la restructuration. Et pour y parvenir, elle permet aux propriétaires d’entreprises de garder le contrôle de leur entreprise (contrôle des actifs, exploitation quotidienne de leur entreprise). Ainsi la nomination d’un administrateur n’est pas automatique. C’est ce qu’on appelle la méthode du « débiteur en possession ».

Elle concède, en outre aux propriétaires le bénéfice d’un espace de respiration temporaire de quatre mois afin de négocier un plan de restructuration. Ce délai de quatre mois a pour objectif de mener au mieux les négociations du plan de restructuration et peut à certaines conditions, être prolongé sans toutefois excéder les douze mois.

La directive impose un effacement automatique de la dette au bout de 3 ans. Cette prérogative offre à l’entrepreneur une « seconde chance ». Cette seconde chance vise à supprimer le stigmate de l’insolvabilité et de l’échec des entreprises, augmenter le taux du travail indépendant et encourager l’esprit d’entreprise et l’innovation dans toute l’UE.

Cette liquidation automatique pouvant engendrer des abus (exclusion de l’accès à la décharge, établissement de périodes de décharge plus longues, mauvaise foi du débiteur…), il convient aux pays membres de mettre en place des garanties suffisantes afin de se préserver de tels comportements.

La directive prévoit, en cas de violation de règles éthiques d’une profession ou dans le cas d’une condamnation pénale, l’application de périodes de déchéances plus longues ou indéfinies.

Selon la situation de l’entrepreneur et proportionnellement à son revenu, les États membres peuvent exiger, aux fins d’obtenir une décharge complète, que ce dernier effectue un remboursement partiel de la dette au courant de la période de décharge.

  • Concernant les créanciers :

Certes, la directive accorde un « répit » au débiteur, mais cela ne devrait pas enfreindre les droits des créanciers qui pourront faire respecter leurs revendications individuelles à l’issue du délai des négociations du plan de restructuration.

Particulièrement, dans le cas où les intérêts légitimes des créanciers minoritaires dissidents ou encore des actionnaires ne sont pas protégés, ces derniers peuvent, à cette condition, faire obstacle à l’adoption du plan de restructuration.

  • Concernant les nouveaux investisseurs :

Afin de limiter un nombre important de liquidations inutiles de sociétés viables, cette directive a pour but de réduire les obstacles aux investissements transfrontaliers en raison des différences entre les cadres de restructuration.

En effet, face aux différences des cadres de restructuration entre les différents États membres, les investisseurs transfrontaliers redoutent d’investir dans les entreprises en difficultés. La directive vise à accroître les investissements ainsi que les possibilités d’emploi dans le marché unique, ce qui permettrait une augmentation des possibilités de restructurations transfrontalières.

Grâce à cette directive, on envisage une augmentation du taux de recouvrement ce qui devrait conforter les nouveaux investisseurs.

  • Concernant les employés :

La directive permet la préservation des emplois au sein de l’entreprise viable en difficulté en engageant une procédure de « sauvetage » précoce.

Elle offre aux salariés une pleine protection de leur droit du travail ainsi qu’une garantie du paiement de leurs salaires au courant de la procédure. Elle leur permet de bénéficier d’un droit de vote lorsque leurs revendications et leurs intérêts sont touchés par le plan de restructuration.

  • Concernant les tribunaux :

Cette directive vise à alléger la charge de travail des tribunaux. Elle les empêche d’intervenir automatiquement dans la phase précoce, car cela engendre des coûts et décourage la restructuration. Cependant, leurs interventions demeurent possibles lorsque certains intérêts sont en jeu, mais aussi pour préserver les droits des créanciers. Elle prévoit des cadres de restructuration préventive souples et réduit les formalités judiciaires.

Ce processus permet de réduire la longueur ainsi que les coûts des procédures pour les débiteurs et leurs créanciers et ainsi, accroître l’efficacité des procédures d’insolvabilité.

Certains praticiens devraient notamment recevoir une formation adéquate afin de se conformer aux exigences de cette nouvelle directive.

  • Concernant la détection des difficultés :

La volonté de la directive est de développer une culture de recours à la restructuration préventive de manière précoce. Elle demande aux États qui ne disposent pas encore de procédure le permettant, de mettre en place un accès à des outils d’alerte rapide permettant de détecter les difficultés financières des entreprises afin de pouvoir y remédier rapidement aux moyens de mesures appropriées.

Les tâches diverses de comptabilités, les rapports, la surveillance, les mécanismes d’alerte par des tiers… sont autant de mécanismes qui peuvent sauver les entreprises du « gouffre ».

La proposition établit des principes communs, des règles ciblées. Elle met en place des éléments de base communs pour les cadres de restructuration préventive, mais n’impose pas une procédure uniforme pour tous les États membres qui disposent du choix de modifier leur procédure interne ou d’en créer une nouvelle. Les États membres qui ne disposent pas de ce type de procédure préventive devraient en mettre en une œuvre.

La mise en place de ce type de procédure demeure fondamentale pour atteindre les objectifs de cette directive qui sont soulignés par les explications du premier vice-président de l’Union européenne Frans Timmermans « Nous voulons aider les entreprises à se restructurer à temps, de façon à sauver des emplois et à préserver leur valeur. Nous voulons aussi soutenir les entrepreneurs qui ont échoué, pour qu’ils se relèvent plus rapidement, repartent de l’avant et se remettent en selle, plus avisés. »

« Cette initiative constitue un élément essentiel du plan d’action pour la mise en place d’une union des marchés des capitaux et de la stratégie pour le marché unique » (2) initié par le règlement 2015.

La transposition de la directive en droit interne par les États membres devrait intervenir rapidement et la mise en place de ces mécanismes de détection des difficultés financières, de restructuration et d’harmonisation devra s’appliquer promptement afin de simplifier l’entrée en vigueur du règlement prévu pour le 26 juin 2017.

Ce fut finalement les 28 mars et 6 juin 2019 que le Conseil de l’Union a adopté cette proposition, aboutissant à la Directive du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité. Cette Directive vient fixer les normes communes aux états membres de l’Union européenne, elle comprend une procédure de restructuration et une procédure d’effacement des dettes. L’intérêt de cette directive est comme le prévoyait le projet, une libre circulation des capitaux.

Concernant les mesures de la Directive, elle met en place un système d’alerte et de détection mis à disposition des dirigeants permettant une restructuration préventive sans avoir à passer devant le juge. L’intérêt est donc de se rapprocher d’une procédure de conciliation, limitant l’intervention du juge. La directive prévoit de créer des classes (créanciers, salariés, actionnaires…) qui auront chacune des droits sur le vote du plan de restructuration. Les tribunaux vont ensuite apprécier le plan au vu des critères légaux, pour maintenir l’activité, conserver les emplois et apurer les passifs. Il s’agit d’un contrôle plus important que celui de la validation des plans de sauvegarde et de redressement du tribunal de commerce. Dès que le plan est validé par les tribunaux, celui-ci devient contraignant, y compris aux créanciers.

La Directive prévoit également une obligation de diligence à l’égard des dirigeants. Mais les sanctions pour la mauvaise gestion sont laissées au libre choix des états membres.

Concernant l’effacement des dettes, la Directive prévoit que la remise des dettes impayées doit être automatique, la demande du débiteur n’étant pas nécessaire. Cette remise de dette peut par ailleurs, se prolonger au-delà de la clôture des opérations. En cas d’insolvabilité, il est interdit au débiteur d’effectuer une activité indépendante, un délai pour permettre un plan de restructuration doit donc être mis en place. Le délai de réhabilitation prévu par la Loi Pacte de trois ans fait en sorte que le droit français est en accord avec la Directive, tant qu’est prévu un effacement des dettes au moment du rétablissement professionnel.

Toutefois, cette directive est critiquée quant à la souplesse qu’elle laisse aux législateurs. En effet, de nombreuses options sont laissées aux législateurs nationaux.